Compte-rendu de la table ronde du 24 mai 2019
Dans le cadre de la semaine Social et vous présentant le volet social des Grands Voisins, une table-ronde a été animée pendant deux heures vendredi 24 mai par Frédéric Vuillod, journaliste et fondateur de Mediatico. Ce média en ligne fondé en 2013 traite des circuits économiques émergents et de l’économie responsable. Mediatico est installé aux Grands Voisins depuis 2016.
Les quatorze participants à la table ronde ont pu dialoguer ensemble et avec le public afin de présenter la grande diversité de dispositifs d’insertion mis en place sur le site.
Étaient présents :
Panel 1 – le social aux Grands Voisins : plantons le décor
- Louis, ancien résident du centre d’hébergement Albert Ier et serveur à la Lingerie avec l’association Yes We Camp
- Clémence, coordinatrice du projet des Grands Voisins pour l’association Aurore
- Kahina, conseillère en insertion professionnelle au centre d’hébergement Pangéa
Panel 2 – la valeur ajoutée sociale des Grands Voisins
- Louise, résidente du centre d’hébergement Albert Ier et membre de l’association Voisins de service
- Pascaline, de l’association Capacités. Elle accompagne l’association des Voisins de service.
- Seynabou, coordinatrice de l’accueil de jour pour demandeurs d’asile de l’association Aurore
- Ramine, ancien bénéficiaire et actuel bénévole à l’accueil de jour pour demandeurs d’asile. Il s’implique également aux restaurants Oratoire et Chez Ghada.
- Charlotte, de la coopérative Plateau Urbain, ancienne responsable du Trocshop et de la monnaie locale
- Miraculeux, chanteur du groupe de musique Kacekode, créé aux Grands Voisins
Panel 3 – l’insertion professionnelle aux Grands Voisins
- Jérôme, responsable du restaurant – chantier d’insertion Yankadi, de l’association Aurore, situé aux Grands Voisins
- Ghada, résidente du centre d’hébergement Cœur de Femmes et gérante du restaurant Chez Ghada, situé aux Grands Voisins
- Chloé, de l’association Yes We Camp, responsable du restaurant de l’Oratoire
- Elodie, travailleuse sociale à la Conciergerie Solidaire de l’association Aurore et en charge de l’insertion au restaurant de l’Oratoire
- Sébastien, responsable de la Conciergerie Solidaire, structure d’insertion par le travail qui utilise le Dispositif Premières Heures (DPH).
- Carine, chocolatière et fondatrice de Mon Jardin Chocolaté, structure d’accueil de salariés en DPH
La table-ronde est visible dans son intégralité en vidéo (2h), réalisée par Mediatico :
Harry-James, artiste aux Grands Voisins au sein de Curiosity Lab, a proposé une retranscription graphique des échanges.
Le graphique ci-dessous met en avant des verbatims issus de la table ronde, regroupés en quatre thématiques qui synthétisent les débats :
Fonctionnement des structures et dispositifs présentés lors de la table ronde :
L’insertion aux Grands Voisins
3 centres d’hébergement de l’association Aurore sont présents sur le site :
- Pangéa pour les mineurs étrangers isolés. Ils suivent une formation professionnalisante.
- Cœur de femmes pour les femmes majeures isolées qui sont dans une dynamique d’insertion professionnelle. Elles sont autonomes financièrement et dans la gestion du quotidien.
- Albert Ier pour les hommes et les femmes de 18 à 30 ans nécessitant un temps de stabilisation.
Un accueil de jour de l’association Aurore est également situé sur le site.
Il accueille des hommes majeurs isolés demandeurs d’asile et sans hébergement récemment arrivés en France et en oriente 90 par semaine vers des centres d’accueil et d’examen de la situation (CAES). Des publics réfugiés sont également accueillis. Un accompagnement à l’insertion professionnelle leur est proposé.
D’une capacité de 125 personnes, l’accueil offre un accompagnement administratif et des espaces pour se reposer, se laver, faire sa lessive, manger, jouer, avoir accès à internet. Des sorties culturelles et sportives sont également régulièrement organisées.
Crédit photo : Clarisse Dachy
La Conciergerie Solidaire est un dispositif d’insertion. Elle offre la possibilité à des salariés employés dans le cadre du Dispositif Premières Heures (DPH) de travailler quelques heures par semaines pour répondre aux besoins du site (accueil de personnes, entretien de la voirie, prestation de ménage et de bricolage…). Les salariés bénéficient d’un accompagnement social et 50% d’entre eux sortent en emploi.
Les Voisins de service est une association créée en 2018 par des résidents et anciens résidents des centres d’hébergement des Grands Voisins. L’association permet à ce collectif d’assurer des prestations auprès de particuliers ou d’entreprises. Elle reçoit l’aide de l’association Capacités pour structurer son activité.
Le Trocshop a été créé en 2016. Il s’agit d’un système d’échange de biens et de services. Une boutique permet d’échanger des biens contre de la monnaie-temps acquise en rendant service ou en donnant un bien. La monnaie-temps peut être dépensée à la Ressourcerie, au restaurant de l’Oratoire et dans certaines boutiques. Le système encourage ainsi les rencontres entre tous les acteurs du site.
Kacekode est le groupe de musique créé à partir d’un atelier de musique pour les résidents des centres d’hébergement organisé par Adrien Collet, luthier aux Grands Voisins.
Yankadi est une cuisine d’insertion basée à Sevran qui a une antenne aux Grands Voisins. Ses employés préparent environ 300 repas par jour pour des centres d’hébergements. Une vingtaine de personnes sont accompagnées chaque année, pour une durée maximale de 2 ans. Le taux de sortie en emploi est de 70%.
L’Oratoire est un restaurant qui sert des produits frais, de saison, locaux et cuisinés avec passion. Cuisine d’insertion, il accueille plusieurs personnes en parcours d’insertion ou de formation et aménage des créneaux pour que des résidents se forment aux métiers de la cuisine et du service.
Chez Ghada est un restaurant créé en 2018, à la fin du projet food. Ce projet permettait à des résidents de vendre de la nourriture sur le site.
Ghada, qui était très investie dans le projet, a voulu poursuivre l’aventure en créant son propre restaurant. Pour obtenir le local, elle a dû répondre à l’appel à projet de Plateau Urbain, passer des entretiens, faire un business plan…
Elle emploie maintenant 12 personnes dont 3 à temps plein. La majorité sont des résidents des centres d’hébergement.
Mon jardin chocolaté est une chocolaterie biologique située aux Grands Voisins. Carine, la fondatrice, s’est associée à la Conciergerie Solidaire pour accueillir des salariés en DPH. Ces derniers démoulent, contrôlent la qualité, décorent et mettent en boîte les chocolats et participent à l’entretien de l’atelier.
Crédit photo : Geoffroy Lasne
Bien d’autres dispositifs favorisent également l’insertion aux Grands Voisins : la Maison des Voisins, l’Atelier Construction, la Ressourcerie, la Coopérative de bien-être, le Plateau Technique, la Cafet’Mobile, les cafés et repas à prix libre, les cafés et repas suspendus…
Pour aller plus loin…
Le projet des Grands Voisins fait cohabiter des fonctions et des groupes sociaux différents pour expérimenter la lutte contre l’exclusion et l’isolement. Dans ce cadre, de nombreux dispositifs ont été mis en place, avec plus ou moins de succès. Ceux-ci n’ont pas vocation à servir de modèle, toutefois, il est possible d’en tirer des pistes de réflexion pour la suite.
Quelle place pour le travail rémunéré ?
Comme abordé lors de la table ronde, le lieu offre de nombreuses opportunités d’insertion et de travail aux résidents des centres d’hébergement. Néanmoins, cette volonté se confronte aux obligations légales. En effet, tous les résidents n’ont pas accès aux mêmes opportunités. Par exemple, les personnes n’ayant pas d’autorisation de travail en France ne peuvent être employées. Cela est source de frustration pour les résidents qui ne peuvent pas avoir d’activités rémunérées quand des opportunités sont à portée de main.
Pour offrir des possibilités à tous, la monnaie temps a été développée afin que chacun puisse obtenir des contreparties en échange de services rendus. Elle permet aux résidents d’acheter des biens à la Ressourcerie Créative et de consommer des plats ou boissons au restaurant de l’Oratoire et à la Lingerie.
Toutefois cette monnaie ne rencontre pas de véritable succès, elle est peu valorisée, car elle est peu utilisable sur le site (toutes les boutiques ne l’acceptent pas) et surtout, elle n’a aucune utilité à l’extérieur. La réussite mitigée de cette monnaie, censée corriger les problèmes d’accès à l’emploi, crée ainsi une double frustration pour les résidents qui ont l’impression de ne pas avoir d’opportunités de travail sur un site pourtant si riche en expérience humaine.
Quelle mixité entre résidents et occupants ?
Par ailleurs, le projet des Grands Voisins vise à créer des partenariats, des systèmes d’entraide entre les occupants, structures qui développent leur activité sur le site, et les résidents habitant dans les centres d’hébergement de l’association Aurore. La cohabitation entre ces acteurs permet de faire émerger des initiatives qui n’auraient pas pu avoir lieu sans le contexte des Grands Voisins. Toutefois, les occupants présents sur le site sont dans une situation fragile puisque la plupart lancent leur activité et ne bénéficient pas encore d’une situation économique stable. Cette fragilité limite parfois leur investissement dans le projet.
Afin de proposer des activités et de favoriser l’inclusion sociale des résidents, plusieurs structures proposent du bénévolat. Comme évoqué lors de la table ronde, cela a des aspects positifs et négatifs. On peut se demander si le bénévolat bénéficie plus aux structures qu’aux bénévoles.
Pour les résidents, cette situation est également source de frustration dans la mesure où certains peuvent avoir l’impression que les occupants développent leur activité et s’épanouissent à leurs dépends. Une situation à plusieurs vitesses s’instaure sur le site entre les résidents rencontrant des difficultés à accéder au marché du travail, les occupants tentant de faire progresser leur activité et les visiteurs venus pour se divertir.
Quels débouchés pour l’insertion dans la restauration ?
L’insertion par la cuisine est souvent vue comme une bonne source d’intégration professionnelle. Comme expliqué lors de la table-ronde, ce secteur est valorisant et plus facilement accessible. Toutefois, il faut garder à l’esprit que le secteur de la restauration propose des conditions de travail souvent contraignantes. En région parisienne, les emplois sont fortement concentrés dans Paris intramuros (100 000 postes vacants) ce qui nécessite de trouver un logement à proximité de son lieu de travail pour pouvoir assurer des horaires tardifs et en coupure. Les logements dans Paris, trop chers, ne sont pas accessibles aux personnes en insertion ce qui limite les opportunités d’emploi pour les résidents une fois partis des Grands Voisins.
Promouvoir le micro-entreprenariat
Les difficultés rencontrées pour proposer un emploi salarié aux résidents poussent également à s’interroger sur l’insertion professionnelle. En effet, de nombreux résidents seraient intéressés pour faire du micro-entreprenariat, à l’instar du restaurant créé par Ghada. Toutefois ces initiatives sont peu soutenues et encouragées par les travailleurs sociaux. Cet écart de vision s’explique par la différence culturelle entre les résidents venus de pays où le micro-entreprenariat est très courant et accessible et le fonctionnement français qui encadre par de nombreuses lois et normes ce genre d’initiatives. Les travailleurs sociaux ne sont pas formés pour accompagner les personnes vers le micro-entreprenariat. Pourtant, un site comme les Grands Voisins semble être adéquat pour autoriser la création de ce genre d’initiatives puisqu’il offre un espace bienveillant et sécurisé propice au lancement d’une activité.
Quelle place pour les résidents dans le projet des Grands Voisins ?
Le lieu propose ainsi de nombreuses possibilités, donne beaucoup d’espoirs aux résidents et aux personnes accompagnées en termes d’intégration sociale et professionnelle. Toutefois, il arrive que ces espoirs soient déçus car les résultats ne sont pas toujours très visibles ou ne correspondent pas aux attentes : de nombreux résidents ont fait des progrès en français mais n’arrivent pas à trouver d’emploi par exemple. Ces frustrations sont source de violence sociale et le site peut devenir nocif pour ces personnes qui ne s’y sentent plus à leur place, faute de trouver l’intégration souhaitée. Cela est renforcé par le fait que les résidents n’aient pas choisi d’être aux Grands Voisins, ils ont été affectés dans un centre et leur départ est conditionné par l’accès à un logement et à un emploi ou par la disponibilité d’une place dans un autre centre d’hébergement.
De par la visibilité des Grands Voisins, plusieurs résidents ont également l’impression qu’ils servent à assurer la caution sociale et solidaire du lieu afin que celui-ci gagne en attractivité auprès du public extérieur en quête de lieux alternatifs et solidaires. Ils ont l’impression que le fait d’être aux Grands Voisins ou dans un autre centre d’hébergement ne change rien à leur condition. Néanmoins, le parcours de plusieurs personnes permet de constater que la mixité des publics et l’ouverture globale du projet permet plus de contacts et donc un apprentissage du français plus rapide pour certains. Ainsi, les résidents attendent des résultats rapides et visibles tandis que les résultats du projet se font sur le long terme et ne sont pas forcément sources de gain financier mais plutôt de gains immatériels.
Repenser le travail social
Le projet des Grands Voisins entraîne également une réflexion sur le travail social et sur son organisation. Il en propose une conception multi-actorielle et décloisonnée. L’expérimentation permet aussi aux travailleurs sociaux d’avoir un impact sur leur travail futur et sur la construction de la ville. En effet, suite au projet mené, Paris et Métropole Aménagement, l’aménageur du futur écoquartier Saint-Vincent-de-Paul a proposé que l’association Aurore soit associée aux architectes qui concevront le futur centre d’hébergement d’urgence et la pension de famille afin que l’aménagement du bâtiment corresponde aux besoins des futurs résidents.
Cette conception et l’organisation de ce type de projet devraient être pris en compte dans la formation des travailleurs sociaux afin que ceux-ci sachent plus facilement s’intégrer dans ces nouveaux projets et soient à même de comprendre les enjeux et le fonctionnement de ces lieux. En effet, être travailleur social aux Grands Voisins requièrent d’ajuster certaines pratiques : en plus de l’accompagnement dans le centre d’hébergement, il est nécessaire de s’intégrer dans le vaste réseau d’acteurs présents, et notamment ceux impliqués pour l’insertion sociale et professionnelle.
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