L’interview d’Emma Lavaur, chef à la Lingerie

Publié le Publié dans Au quotidien, Cuisine et repas

A l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, toutes les expériences culinaires sont permises car nous considérons que la préparation et le partage des repas est un des vecteurs privilégiés pour explorer la mixité, la participation, l’apprentissage et la convivialité. Emma Lavaur, chef à la Lingerie, répond à nos questions sur le projet “Food” des Grands Voisins.

Emma, peux tu nous dire quelques mots sur ton parcours ?  Et pour quelles raisons tu as choisi de travailler à la Lingerie ?

Je suis venue à la cuisine un peu par hasard en faisant une pause dans mes études en sciences politiques. J’ai commencé dans un petit resto traditionnel en Bourgogne. C’est Philippe Bariteau qui m’a fait découvrir les méthodes modernes utilisées en gastronomie : cuisson à basse température, imprégnation sous vide, réduction à froid, etc. Ensuite, j’ai travaillé pour plusieurs chefs. J’ai notamment été chef de partie au garde-manger de l’Agapé Substance à Paris au sein d’une bonne équipe, très créative.

En 2015, au moment où j’ai rencontrée l’équipe de Yes We Camp qui préparait le projet des Grands Voisins et aménageait et la Lingerie en café-restaurant, je m’étais déjà tournée vers de projets pluridisciplinaires qui faisaient intervenir des chimistes, des menuisiers et des artistes. Ce qui m’a séduit avec le projet des Grand Voisins, c’est qu’il se veut inclusif. Et mon challenge, c’est de faire que la cuisine soit un des moteurs du dispositif d’inclusion.

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Quels sont les grands principes gastronomiques dans la cuisine de la Lingerie ? Comment choisis tu les produits ? Comment les cuisines tu ?

Nos produits n’ont pas forcément le label bio mais ils sont issus de l’agriculture raisonnée, de saison et cultivés en Île-de France.

En cuisine, il n’y a pas de gaspillage : ce qui n’est pas vendu nourri le staff, les épluchures sont données aux poules ou partent au compost. Nous essayons que les recettes produisent peu de déchets. Par exemple, un bouillon d’épluchures torréfiées, une fois réduit, fait une bonne base pour une sauce. Nous privilégions les légumes, sans être exclusifs. La cuisine sans viande permet de maintenir des tarifs bas. Le brunch du dimanche par exemple est végétarien avec toujours un œuf.

Nous proposons cuisine simple, de cantine, mais avec souvent un petit plus. Ca peut être un ingrédient décliné en plusieurs textures. Par exemple, pour accompagner un plat que l’on fait mijoter avec du laurier, nous servons une crème montée au laurier et des croûtons au laurier. Ca permet de faire des rappels dans le plat.

Recettes hivernales zéro déchet

Qui travaille avec toi en cuisine ?

Nous avons longtemps fonctionné à deux, puis trois avec Zofia, Timothée et l’aide de nombreux bénévoles. Récemment l’équipe s’est agrandie. Nous sommes à présent quatre salariés de Yes We Camp : Ninon, Océane, Margaux et moi. Nous assurons le fonctionnement quotidien de la cuisine et accueillons les bénévoles.

Je vois deux grandes catégories de bénévoles : des personnes qui ont déjà une vraie passion culinaire qui souhaitent connaître le fonctionnement d’une cuisine professionnelle et des personnes en reconversion qui veulent avoir une expérience en cuisine avant de s’engager dans une formation. C’est assez unique, car très peu de restaurants font une place à des cuisiniers sans expérience.

Margaux par exemple, a interrompu ses études de chimie parce qu’elle désirait devenir cuisinière et monter un projet social autour de la cuisine. Elle a commencé à la Lingerie comme bénévole. Ensuite elle a intégré l’équipe et débuté les cours du soir de la Mairie de Paris pour passer son CAP en cuisine. Bientôt elle aura assez de pratique pour monter son propre projet.

Ce que leur apporte la Lingerie aux bénévoles, c’est un accompagnement dans leur réflexion sur la cuisine et un espace-temps ou de laisser mûrir leurs idées. Les résidents des foyers d’hébergement sont bénévoles au même titre que d’autres personnes. Il n’y a pas de différence.

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Qu’est ce qu’un débutant a appris après son passage dans la cuisine de la Lingerie ?


J’adore expliquer le fonctionnement de la cuisine et ses coulisses aux nouveaux venus : le but d’un premier “shift” en cuisine, c’est que la personne comprenne le rythme et les déplacements. Petit à petit je la vois comprendre les mécanismes. C’est beau de sentir la fluidité naître au fur et à mesure de la journée.

Au début, tous les bénévoles sont tous déstabilisés. Il n’y a aucun repère connu par rapport à une cuisine domestique, même un saladier sale se pose dans un endroit particulier. Ils apprennent à “s’annoncer”. Ça n’existe nulle part ailleurs, de devoir dire à haute voix “attention couteaux” quand on traverse la cuisine avec des couteaux à la main.

Rapidement les nouveaux apprennent à utiliser tous leurs sens. L’ouïe d’abord, entendre où sont les autres cuisiniers quand on tourne le dos, le bruit des légumes qui reviennent dans l’huile d’olive et vont un peu fort, le four qui s’arrête et qu’il faut le relancer. La vue. Ils apprennent à regarder ce qu’ils font et deviennent attentifs à ce qu’il se passe autour d’eux. Et l’odorat bien sûr ! Savoir sentir quand le gâteau est cuit au four alors qu’on est à l’autre bout de la cuisine, c’est indispensable et ça vient très vite !

Les cuisiniers débutants apprennent aussi à décomposer les tâches pour aller très vite et ne pas se lasser. Par exemple quand on a un cageot de carottes à éplucher et tailler, on apprend à tout éplucher avec un objectif temps, – tu as 15 minutes pour un cageot -, à tourner la carotte dans sa main pour éviter les mouvements inutiles, une fois toutes les carottes épluchées, on taille tous les bouts d’un coup. Toujours un geste à la fois.

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Les nouveaux cuisiniers apprennent aussi des choses qui peuvent leur servir au quotidien, même s’ils ne se préparent pas à travailler dans une cuisine professionnelle ?

Oui, j’explique des recettes du quotidien comme le pain ou la fougasse, que tout le monde ont pris l’habitude d’acheter au supermarché alors que c’est facile à préparer. Je donne de petites astuces pour améliorer ou pour rattraper une préparation qui ne ressemble pas à ce que l’on veut, comme ajouter quelques feuilles d’épinards conservées au congélateur pour donner un belle couleur verte à une soupe, ou des manipulations courantes, comme cuire à blanc un fond de tarte avant d’y verser une préparation pour éviter que la pâte s’imbibe et ne cuise pas uniformément. C’est aussi l’occasion de tester des choses qu’on en fait pas chez soi, comme la cuisson au four à vapeur.

Mais il ne faut pas oublier que l’apprentissage est réciproque. Carine et Salim, deux bénévoles hébergés, nous ont appris leurs recettes tunisiennes et algériennes par exemple. Avec Lucas de l’Association Ici terre, nous testons de nouvelles recettes de smoothies verts.

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Tu n’es pas pas seulement responsable de la cuisine mais de tout le pôle d’activités “food” des Grands Voisins ? Quels sont les projets en préparation ?

En novembre dernier, nous avons lancé la table d’hôtes, une tablée de 25 convives et un repas gastronomique préparé par un chef invité, qui nous rejoint en cuisine. C’est un projet qui me tient à cœur car je trouve que c’est important que le meilleur de la création culinaire puisse être présenté aux Grands voisins. C’est aussi une bonne chose pour l’équipe cuisine de pouvoir sortir du quotidien de la cantine et de prendre le temps d’apprendre et d’expérimenter avec un chef venu de l’extérieur. Des Voisins intéressés ont aussi participé à la préparation et au repas.

C’était un beau moment de créativité et de rencontre. Pour un chef, qui n’a connu que de cuisine de restaurant avec des organisations très strictes, c’est rare de découvrir une cuisine associative, qui tourne en grande partie grâce à des bénévoles avec la participation active d’hébergés qui sortent parfois de situations très difficiles. On imagine souvent que ce genre de cuisine ne peut pas avoir une exigence qualitative. Ce n’est pas le cas à la Lingerie.

C’était aussi l’occasion, comme pour tout ce qu’il se passe aux Grands Voisins, de faire participer les autres pôles d’activités : les céramistes pour la vaisselle et le jardiniers pour les légumes, etc.

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L’autre projet en préparation c’est la Cuisine des résidents. Ces derniers mois, plusieurs initiatives sont nées spontanément. Des hébergés ont pris en main la cuisine de la Lingerie le temps d’un weekend pour préparer leurs spécialités. D’autres nous ont emprunté la cafette mobile pour vendre des gâteaux et de thé sur le site. Nous essayons d’encourager ces initiatives en proposant de outils adéquats.

Aujourd’hui la Maison des médecins, un nouveau lieu aménagé par et pour les résidents des foyers, a sa propre cuisine. C’est particulièrement utile pour les hébergés qui n’ont pas accès à une cuisine dans leur foyer. Pour aller plus loin, nous allons aménager, en lien avec l’Association Aurore, un espace pour leur permettre de présenter et vendre leur préparation et aussi d’apprendre des techniques culinaires. Et nous sommes aussi en train de réfléchir  à formaliser l’expérience en cuisine dans les parcours de reconversion.

D’autres structures développent des activités autour de la cuisine aux Grands Voisins. Y-a-t-il une synergie qui se crée ?

Oui petit à petit on apprend à se connaître et à mettre en commun nos envies et énergies.

Avec la Conciergerie solidaire, qui emploie en insertion des hébergés des foyers, nous partageons la Lingerie. C’est eux qui préparent et servent les menus du midi du lundi au mercredi. Et c’est par leur intermédiaire, que des hébergés ont eu envie de venir aider Yes We Camp en cuisine.

Avec les structures voisines qui travaillent aussi sur la nourriture, Food de rue, Biocycle, il y a des échanges, des dépannages et la co-organisation ou co-participation à des événements.

Avec d’autres, la Lingerie agit comme support des projets. Avec Ici terre par exemple, nous sommes dans l’expérimentation sur les légumes crus et le ludique avec des préparations à base de pousses de graines germées. C’est aussi le moyen de faire connaître leur activité.

Avec d’autres encore, nous jouons sur la complémentarité. Les jardiniers de la serre aquaponique, par exemple, cultivent des herbes aromatiques et des légumes-feuilles.

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Pour finir, peux tu nous donner une recette de saison facile à préparer si on est pas très équipé et qu’on a un petit budget ?

 

Une de mes recettes favorites en ce moment ce sont les légumes d’automne rôtis. On peut en cuisiner une grosse quantité le dimanche après le marché, les manger chaud le jour même et préparer des petites boites pour le reste de la semaine pour les manger en salade,  en ajoutant ce qui tombe sous la main, ou même les transformer en soupe !

Pour un repas de 4 personnes :

½ potimarron
1 kg de carottes
4 pommes de terre
2 navets jaunes
2 échalotes
Miel
Cannelle
Muscade
Sel
Huile d’olive

Éplucher les carottes et les pommes de terre, les laver, les couper en gros morceaux.
Laver les navets, et les couper.
Laver le potimarron, le couper en deux, le vider et le couper en gros morceaux.
Éplucher les échalotes et les couper en deux.
Mettre tous les légumes en morceaux dans un plat qui va au four, arroser d’huile d’olive, saupoudrer d’épices (cannelle, muscade), de gros sel et de miel.
Bien mélanger et enfourner à 200°c pendant 20 à 30 minutes. Les légumes doivent être fermes, colorés et cuits (on plante une lame de couteau facilement dedans).

Sauce vierge :

Huile d’olive
Noisettes
Curry
Citron
Ciboulette

Torréfier les noisettes au four 10 minutes à 160°C.
Les concasser au rouleau à pâtisserie.
Mettez les dans un petit saladier et verser de l’huile d’olive dessus.
Ajouter du curry, un jus de citron et un peu de ciboulette ciselée.

Photos : Elena Manente et Lisa George

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