Entretien avec Pierre Machemie, sociologue et résident aux Grands Voisins

Publié le Publié dans A la Une, Les voisins, Nouveaux usages, Travail et insertion

Pierre Machemie prépare une thèse en sciences de l’éducation sur le pouvoir d’agir dans des lieux d’innovations sociales. En réponse à une commande de l’Association Aurore pour mesurer l’impact du projet les Grands Voisins sur les centres d’hébergement, il a habité pendant plusieurs mois avec les résidents du foyer de stabilisation du bâtiment Pierre Petit. Il se prête aujourd’hui au jeu des trois questions.


Que fais-tu aux Grands Voisins ?

Ma mission est d’identifier et de comprendre les zones d’interaction entre le projet des Grands Voisins et les centres d’hébergement. J’habite depuis février dans une des chambres du centre Pierre Petit. C’est une vie en collectivité avec 112 autres personnes, les repas pris ensemble et pas de point d’eau ou de sanitaire dans les chambres. Ce centre accueille un public particulièrement complexe avec des personnes qui ont eu des parcours durs très longs et très marqués. La moyenne d’âge est de 57, ce qui est beaucoup dans ce contexte, 80 % d’hommes, la plupart avec des problèmes d’addictologie et/ou de troubles psychiques. Certaines personnes sont là depuis longtemps car le centre a été le premier installé sur le site de l’ancien hôpital en 2011. Pierre Petit, c’est à la fois une maison de retraite de type EHPAD, un centre d’addictologie et un établissement psychiatrique, sans équipe médicale ou paramédicale.

Or ce contexte est méconnu par bon nombre d’associations installées sur le site, qui ne comprennent pas toujours pourquoi leur proposition en direction des centres d’hébergement n’ont pas de réponse ou sont mal perçues. Cela explique, en retour, la frilosité d’une partie des travailleurs sociaux vis-à-vis du projet. Et ces zones de friction se trouvent renforcées par les contrastes que crée le projet en juxtaposant les publics. D’un côté les hébergés se rendent bien compte qu’il y a par exemple une fête ou un concert à 50 mètres de chez eux. De l’autre, en revanche, les personnes qui viennent aux Grands Voisins sont souvent très loin d’imaginer le quotidien des hébergés qui habitent sur place. Il a un besoin de sensibilisation des travailleurs et bénévoles qui interviennent aux Grands Voisins et plus généralement des usagers du site, pour qu’ils comprennent mieux où ils sont.

Pour le dire vite, l’accompagnement social à Pierre Petit ne peut s’inscrire que dans le long terme. Alors que la dynamique du projet les Grands Voisins est liée à l’immédiateté. Il y a un écart immense entre ces deux temporalités et c’est difficile de les faire cohabiter.


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Que retiens-tu en particulier de cette première étape du projet ?

Bien sûr le projet Les Grands Voisins ne se résume pas à ce que je viens de décrire. Il a permis beaucoup de connexions interpersonnelles et l’implication dans des programmes d’insertion comme le Dispositif Premières Heures qui a généré du travail pour 70 personnes. Pour moi l’une des plus grandes réussites, c’est le projet Food tel qu’il s’est déployé aux Comptoirs : un vrai projet social, audacieux et accessible à tous. Les 12 cuisiniers d’Aurore et de Yes We Camp ont réussi à générer de l’activité professionnelle pour 30 personnes dont une partie de sans-papiers.

Je retiens aussi les bons moment du chantier de construction de la terrasse de Pierre Petit. Je constate que les personnes qui utilisent la terrasse aujourd’hui ce sont celles qui vont le mieux à Pierre Petit, celles qui ont le moins subi de dommages de leur propre estime. Tandis que d’autres se disent « cette terrasse est trop belle, ce n’est pas pour moi », et préfèrent rester sur une vieille chaise.

Quant à la Lingerie, la nécessité d’ouvrir à un maximum de personnes pour financer le projet attire des personnes de l’extérieur avec certains codes sociaux et langagiers qui représentent souvent des barrières pour les résidents. Elle est maintenant trop identifiée comme un endroit pour les parisiens qui sortent boire un verre. Les habitants du site peuvent difficilement s’y sentir à l’aise. Ce n’est plus le lieu de vie tel qu’on l’avait imaginé au départ. Est-ce à dire pour autant que la lingerie n’a pas lieu d’être ? Je ne crois pas, simplement elle pose de nouvelles frontières dont l’objet même du projet est de tenter pour les dépasser. Ce sera un enjeu important pour la phase 2.

En attendant, nous avons essayé, depuis cet été, de programmer des activités dans les centres : concerts, jeux, etc. Pour moi, s’il y avait quelque chose à refaire, c’est une médiation qui part depuis les centres et pas en direction des centres. Si les bureaux d’Aurore ou de Yes We Camp avaient été à l’intérieur des centres, ce serait peut être très différent. Parce que là, toutes les personnes qui entrent dans les centres ne sont pas légitimes. « Bonjour, on vient organiser des activités pour vous », ça ne fonctionne pas. Les résidents n’ont pas besoin qu’on réfléchisse à leur place. Ils veulent juste un peu de reconnaissance et surtout de l’écoute.

L’association Culture du Coeur par exemple, a très bien compris ça. Elle a utilisé les cuisines de Pierre Petit pour préparer des gâteaux. Ce sont les bonnes odeurs de pâtisserie qui ont fait sortir les résidents de leur chambres et les ont amené progressivement à participer et à s’impliquer. La porte d‘entrée n’a pas été celle de l’activité mais celle d’une relation qui s’est installée au fil du temps.


Dans quel d’esprit es-tu alors que la phase 1 s’achève et quels sont tes projets ?

Il y eu jusqu’à un millier de personnes hébergées ici, de tous horizons : de jeunes étrangers en attente de papier, des personnes qui sortent de prison ou d’établissements psychiatriques, d’anciens sans-abris, des travailleurs migrants, etc. Les projets de vie sont différents et il y a autant d’avis sur le projet les Grands Voisins qu’il y a de personnes. Mais ce que je vois, c’est qu’à Pierre Petit, il y a des personnes en fin de vie et que la perspective du déménagement dans quelques mois est un sujet d’inquiétude.

Ce que je constate aussi à la fin de cette première étape, c’est que le projet Les Grands Voisins a poussé autre part les limites de l’accompagnement social. La norme aujourd’hui, ce sont des centres d’hébergement isolés avec des travailleurs sociaux concentrés sur les soins à l’intérieur du centre. L’ouverture vers l’extérieur avec un environnement à priori favorable et des possibles pour les équipes de travailleurs sociaux, c’est nouveau. Le coeur du travail n’est plus seulement accompagnement, c’est une multitude de chose qui sont encore, pour le moment, difficiles à évaluer.

Quant à moi, je suis entré dans une phase d’écriture donc je ne suis plus sur place en continu. Outre la commande passée par l’Association Aurore, le site est un terrain de recherches pour une thèse qui va porter sur le pouvoir d’agir des personnes en situation de précarité. Dans les mois à venir, j’aimerais continuer suivre le développement du projet Food et aussi rester en contact avec plusieurs personnes de Pierre Petit.



Propos recueillis par Lisa George
Illustrations : La construction de la terrasse devant le bâtiment Pierre Petit / Les résidents devant Pierre Petit / Soirée karaoké à la Lingerie / Kamel aux Comptoirs.

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43 réflexions au sujet de « Entretien avec Pierre Machemie, sociologue et résident aux Grands Voisins »

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